Équateur: Cancers en Amazonie

 

Entre 1964 et 1990, la compagnie pétrolière Texaco (désormais Chevron) a développé un consortium pétrolier dans l’Amazonie équatorienne, utilisant des technologies et des pratiques nocives pour l’environnement et provoquant un désastre écologique et sanitaire. En 2016, la CSSR et ses partenaires en Équateur, l’Union des affectés par la pétrolière Texaco (UDAPT) et la Clínica Ambiental ont réalisé un diagnostic de l’état de santé de la population de l’Amazonie équatorienne. Voici les principaux résultats de cette étude qui a duré plus d’un an.

 

Lire le rapport complet de l’étude (en espagnol) ICI

 

CANCERS EN AMAZONIE

Le projet a été déployé dans les zones où le groupe Texaco-Chevron a opéré. Ces zones sont situées au Nord-Ouest de l’Amazonie équatorienne dans les provinces de Sucumbios et Orellana. La zone géographique affectée par les opérations de Texaco comprend les cantones (=districts) de Lago Agrio, Cascales et Shushufindi dans la Province de Sucumbios ; Joya de los Sachas et Francisco de Orellana dans la Province d’Orellana.

L’étude menée a permis de :

  • Faire un constat de la situation sanitaire de la zone affectée, y compris dans les communautés indigènes.
  • Observer que les types de maladie les plus fréquentes sont probablement liées à la pollution.
  • Connaître les infrastructures de soins existantes.
  • Localiser les sources de pollution actuelles qui affectent la population.
  • Identifier les principales sources d’eau de la population locale et leur  pollution.

Le diagnostic permet d’identifier les principaux problèmes en termes sanitaires. Nous relevons ici d’une part un système de prise en charge déficient; d’autre part, les impacts de la pollution sur la santé, notamment des taux d’incidence du cancer particulièrement élevé en comparaison nationale.

Selon l’étude, la population est suivie dans les sous-centres de santé et hôpitaux publiques. Cependant ces centres sont éloignés et difficiles d’accès. 17% de la population doit parcourir plus de 10km pour atteindre un centre de soins. Il y manque des médicaments, les horaires des soins restreints limitent les consultations et le personnel infirmier ne peut pas toujours accéder au centre.

Plus de 68% des médecins qui exercent dans la région sont des médecins ruraux (médecins récemment diplômés) sans spécialisation, devant accomplir une année au service de la communauté avant de pouvoir exercer leur profession. Dans la province de Sucumbios, on compte 11.84 médecins pour 10’000 habitants et dans la province de Orellana la moyenne atteint 16.04 pour 10’000 habitants. La moyenne nationale est de 16.48 médecins pour 10’000 habitants.

A Sucumbios on trouve un hôpital de soins de base et un hôpital général. Même situation à Orellana. Dans la région il n’existe aucun centre qui puisse prodiguer des soins pour le cancer. La clinique privée SOLCA (Société de lutte contre le cancer) a fermé en raison de problèmes économiques et du manque de subventions étatiques.

 

Conséquences de l’activité pétrolière de Chevron-Texaco sur la santé

L’étude a relevé le pourcentage de la population qui dit souffrir d’un environnement pollué par les activités pétrolières. Seulement 5.3 % de la population mentionne ne pas être affectée par l’activité pétrolière. 82% de la population utilise de l’eau polluée pour sa propre consommation ou pour se laver. Ils n’ont pas d’autres sources d’approvisionnement en eau. L’air pollué et les gaz émanant des puits pétrolifères affectent directement la santé de la population qui considère également que la pollution du sol est la cause de leurs maigres récoltes.

L’exploitation pétrolière a laissé dans l’environnement la présence de produits chimiques tels que : benzène, hydrocarbures aromatiques policyclyques, nikel, toluène, éthylbenzène, chrome, plomb, zinc, xylène, baryum, cadmium… Ces composants, la plupart nocifs, entrent en contact avec le corps humain par  l’ingestion de nourriture et boisson, l’absorption par la peau, l’inhalation par la respiration. Cette pollution n’est pas seulement mesurable mais aussi visible par la population qui voit dans l’eau les déchets bruts, ainsi qu’une couleur et odeur modifiées.

Les problèmes de santé les plus inquiétants sont l’augmentation des cas de cancer de différents types dus à la proximité des communautés avec les activités pétrolières. La fréquence de cancer par famille est très variable : dans la région de Sacha on compte 41.3% de famille chez qui un membre souffre d’un cancer. Les plus touchés sont les femmes à partir de 30 ans et les hommes dès 45 ans. Les cas les plus fréquents sont des cancers au niveau de l’estomac, de l’utérus, du sein, de la prostate et du poumon. Tous montrent des taux nettement plus élevé qu’au niveau national, respectivement 6x, 8x , 2x, 0.5x et 6x plus élevé.

Le cancer représente 28.8 % des causes de décès chez les habitants, deux fois plus que la moyenne nationale. La seconde cause de mortalité est due à diverses maladies et la troisième, aux morts violentes (homicides et suicides).

L’étude de la situation sur la prise en charge du cancer révèle des lacunes que l’on retrouve dans chaque endroit visité :

  • Diagnostics tardifs : en plus du manque d’accès aux soins de la population, les médecins, très souvent externes à la zone, n’ont pas l’habitude d’identifier les problématiques de contamination au sein de la population.
  • Insuffisances techniques. Il manque bien souvent des équipements et connaissances suffisants pour établir les diagnostics.
  • Services spécialisés surchargés : lorsque qu’ils réfèrent dans les centres hospitaliers spécialisés (à Quito, la capitale), les listes d’attente sont très longues et lorsque que le traitement peut commencer, il est parfois trop tard.
  • Accompagnement insuffisant : au retour de ces personnes, les spécialistes les renvoient chez eux sans que les médecins locaux n’aient même connaissance de leur retour ni d’indications particulières, et sans le suivi d’un psychologue, d’un médecin ou d’une infirmière.

 

L’étude a également mis le doigt sur des problématiques d’ordre socio-économique, environnemental et culturel, toutes en lien avec l’aspect sanitaire. A cause du manque d’eau potable et des pluies acides qui détériorent la fertilité des sols, et donc la production agricole et l’alimentation, la population ne s’implique plus pour une production d’aliments sains et consomme l’eau quelle que soit sa provenance. La nécessité de freiner la pollution afin d’obtenir des aliments plus sains impose une formation continue et des pratiques agro-écologiques strictes. De plus, des éléments importants de la culture se sont perdus. Tant la population indigène vivant dans ce secteur que les nouveaux habitants colonisant la région ont tourné le dos à la culture de plantes médicinales et aux connaissances ancestrales liées à la forêt vierge.

 

Si ce portrait peut faire froid dans le dos, il faut quand même remarquer une incroyable mobilisation de la population et l’espoir de faire changer les choses. Les communautés, regroupées derrière la UDAPT, s’organisent et veulent mettre en place des actions de réparation. Un mouvement que la CSSR s’est déjà engagé à soutenir dans un futur projet, en cours d’élaboration.